Voltaire vs Rousseau
C'est vers 1756 que le premier malentendu
grave éclata entre Voltaire et Rousseau. Jusque-là une sorte de
neutralité avait régné entre eux, non sans une certaine déférence d'un
côté et même avec une certaine sympathie de l'autre. Voltaire, dès le
commencement, avait éprouvé quelque attrait pour cet esprit inquiet,
excessif. Rousseau, de son côté, tant qu'il avait
été obscur, tant qu'il avait ignoré son génie et sa force,
reconnaissait de bonne grâce la royauté intellectuelle de Voltaire. Il
avait assisté les «larmes aux yeux, la poitrine haletante, presque
suffoquant», à la tragédie d'Alzire. Mais a mesure que la réputation de Rousseau croissait, celui-ci commença a se mesurer en pensée a Voltaire. Cela était vraiment bizarre car tou séparait ces deux hommes, les idées et le genre de talent, en passant par le naissance et le rang social. «Voltaire et Rousseau, étaient destinés à
se méconnaître ou à se fuir. Les détails de cette Iliade tantôt
tragique et tantôt grotesque ne sont que l'expression accidentelle
d'une inimitié fatale. Tout les séparait violemment l'un de l'autre,
les idées, la métaphysique, la morale, la manière de comprendre la
religion, le talent même et la langue. Ce n'est pas par boutade ou par
mauvaise humeur que Voltaire déclare le roman de Jean-Jacques "sot,
bourgeois, impudent, ennuyeux".Cela devait lui paraître ainsi, à lui
le dernier classique, même dans l'expression des idées nouvelles qu'il
représente. Et
Rousseau ne devait-il pas détester d'instinct, avec sa nature de
prédicateur et de moraliste plébéien, ce grand seigneur des lettres
françaises, courtisé, choyé, heureux dans tout ce qu'il entreprend,
menant une vie princière au milieu d'une cour où des rois mêmes
tiennent à se faire admettre, traitant de pair avec les puissances du
monde, le grand triomphateur au théâtre, dans l'histoire, dans la
poésie, le vrai souverain de ce siècle!» (Elme-Marie Caro, 1826-1887, critique littéraire, membre de l'Académie Française.